Censures et raisons d'Etat
Dès sa naissance, la raison d'Etat eut à voir avec la censure ; la congrégation de l'Index était chargée d'établir la liste des livres prohibés. Bien que celle-ci ait interdit en 1596 la publication et la lecture de tout livre sur ce sujet, on vit alors se multiplier les ouvrages révélant au public les secrets du pouvoir, que ce soit pour en faire la théorie, en justifier ou en critiquer les pratiques. Naquit alors un genre littéraire, dont les auteurs pouvaient être des gouvernants, comme Richelieu, des opposants, comme Machiavel, voire à la fois des familiers du pouvoir et des opposants, comme Gabriel Naudé. Travaillant l'ambigüité d'une notion à la fois interdite et proclamée, le livre de Laurie Catteeuw cherche dans le lien qui unit raison d'Etat et censure l'une des raisons d'être de la politique moderne.
Son enquête, partant d'oeuvres emblématiques, comme celle de Machiavel, condamnée dès le premier Index, met en lumière la construction de la notion dans l'Europe moderne. Née de la mise en cause de la raison d'Église, durant les guerres de Religion et de l'affirmation de l'autorité politique, la raison d'État se révèle sur la place publique une notion aux visages multiples et aux définitions volontiers contradictoires. L'une d'elles définie en référence au modèle du census romain, intègre au dénombrement des citoyens le contrôle de leurs moeurs ; une autre renvoie à l'exercice d'un jugement critique en matière politique ; la dernière, censure d'Église ou censure d'État, alors en voie de formation, vise la condamnation de certains ouvrages, et l'exercice d'un contrôle officiel des publications.
Par son ambigüité et la variété de ses applications, la raison d'État fut un puissant outil dans le processus de constitution d'une opinion publique. L'enquête de Laurie Catteeuw va à l'encontre des idées reçues et montre que la raison d'État ne fut pas seulement l'instrument du pouvoir absolu ; à sa naissance participèrent aussi les opposants à ses pouvoirs, libertins et auteurs de libelles diffamatoires.