Le Génie grec dans la religion
Louis Gernet ne considère pas seulement la religion dans le cadre de l'histoire générale de la Grèce, mais dans son rapport avec la société dont le rôle dans la formation de la mentalité humaine est ici serré de près ; et c'est l'une des originalités de ce livre, qui a marqué un tournant important dans l'histoire des religions.
Mélange, par son origine, d'éléments égéens et d'éléments indo-européens qui ont commencé leur fusion dès l'époque mycénienne - un millénaire avant l'époque classique - la religion grecque, qui reçut encore bien d'autres influences, a eu une évolution complexe. L. Gernet en retrace des épisodes essentiels au cours de la première partie de son ouvrage. Il montre que bien des points restent obscurs, mais il semble certain qu'« une bonne part de la religion officielle de la cité est héritée de cultes agraires, c'est un fonds primitif qui se reconnaît là ». C'est aussi de ces époques lointaines que datent le culte de Dionysos et la célébrité de lieux sacrés qui deviendront d'« intérêt national », comme Delphes.
La partie de l'ouvrage la plus développée est, naturellement, la seconde, qui expose le système de l'époque classique lui-même. Le génie grec a créé une religion dont le cadre est, par excellence, la cité ; elle est civique, humaine et mesurée, à la fois conservatrice et, dans une certaine mesure, tolérante. Cette religion a été traversée par un courant mystique, mais elle a su longtemps le contenir grâce à la majesté de l'Olympe. Elle a libéré la pensée spéculative et l'imagination artistique. Mais, au demeurant, elle n'a guère su émouvoir le coeur.
La période hellénistique, traitée dans cet ouvrage par André Boulanger, va rompre cet équilibre harmonieux qui, d'ailleurs, on vient de le rappeler, n'avait jamais cessé d'être menacé par un « travail souterrain ». Et ce sera, à partir de la conquête d'Alexandre, le grand succès des sectes à mystères, des cultes de provenance étrangère, où l'émotion personnelle reprend ses droits. Toute l'Asie Mineure, l'Égypte, la Mésopotamie et l'Iran apporteront les rites et les dieux officiels défaillants : ce sera le déclin des Olympiens et, du même coup, celui de la cité. Mais, pendant ce temps, le besoin d'expliquer historiquement et rationnellement les mythes apparaîtra ; la spéculation philosophique s'épanouira en tous sens : la pensée atteindra à l'universalisme.
Ce livre est le nécessaire complément de deux autres volumes de la collection « L'Évolution de l'Humanité » : La Cité grecque de Gustave Glotz et La Pensée grecque de Léon Robin. À travers cette série d'ouvrages apparaît l'explication du « miracle grec » qui devait aboutir, après deux millénaires, au miracle scientifique des temps modernes.
Pour la présente édition une Bibliographie complémentaire a été établie par le Centre de Recherches comparées sur les Sociétés anciennes, de la VIe Section de l'École Pratique des Hautes Études.
Paul CHALUS, Secrétaire général au Centre International de Synthèse.