Les Sirènes de l'irrationnel
En apparence tarots et gris-gris, voyance et astrologie relèvent de l'irrationnel ; rien ne s'oppose davantage à la science, précise, rationnelle, autorisée, que ces pratiques plus ou moins florissantes selon les époques.
Mais au dire même de certains scientifiques, il semblerait que cette opposition ait fait son temps. Ces pratiques étaient dites irrationnelles pour la seule raison qu'on n'en connaissait pas les fondements. On avait une conception restrictive de la rationalité qu'il faut maintenant concevoir largement. Aujourd'hui la science ménage une place à l'irrationnel, lui concède des droits, lui donne un fondement ; plus encore : elle y trouve sa raison. En ce jour on célèbre un mariage : celui du rationnel et de l'irrationnel.
Sommes-nous en présence d'un retour du magique ? À l'état pur, lorsque les formes en sont traditionnelles, à l'état diffus lorsqu'il est « scientifique » et s'appelle, par exemple, auto-organisation. C'est cette rationalisation de l'irrationnel qui fait l'objet de ce livre, il en explore les voix et les expressions. La science, dans certaines de ses branches, contribue sans doute à la réhabilitation de pratiques ou de modes de raisonnement qu'elle excluait, mais l'autorité croissante dont jouissent les savants dans la cité contemporaine n'y contribue-t-elle pas également ? L'Orient et l'appel qu'il exerce ne donnent-ils pas une dimension géopolitique à la question ? Quant aux élaborations théoriques des épistémologues et des sociologues de la connaissance, sont-elles aussi théoriques qu'elles se présentent ? Ne pactisent-elles pas indirectement, par le biais d'un relativisme rénové, avec cet irrationalisme diffus qui s'appelle aussi rationalité élargie ?