Qui vivra qui mourra
Prenez une situation verrouillée et un univers clos, où il n’y a pas assez de ressources pour tous ceux qui veulent vivre : nourriture, eau, air, soins, etc. Tout le monde ne pourra pas survivre ; vous le savez, ils le savent aussi. Qui vivra ? Qui mourra ? Ou plutôt : qui sauver et qui laisser mourir ?
La fiction contemporaine se délecte de ces choix tragiques. Du Choix de Sophie au thriller Saw, en passant par la trilogie des Hunger Games, la littérature pour la jeunesse et les fictions post-apocalyptiques, décider qui doit vivre quand tout le monde ne le peut pas est désormais le thème récurrent des productions culturelles à succès.
Alors que l’égalité de valeur des vies s’est imposée comme un principe fondamental de nos sociétés, la question du tri entre les vies nourrit un tabou très protégé. Pourtant, elle n’est pas toujours provoquée par des choix sadiques, pas plus qu’elle ne surgit exclusivement de situations exceptionnelles. On la repère aussi dans des contextes plus ordinaires, comme l’action sociale ou la santé publique. Du triage des blessés les plus graves sur un champ de bataille à l’évacuation de naufragés perdus en mer, de l’exfiltration de quelques-uns au cours d’un génocide à l’ordre de vaccination en cas de pandémie, des situations extrêmes aux dilemmes quotidiens de l’éthique médicale se reconnaît le scénario d’une époque travaillée par ces questions dans son quotidien et sa mémoire blessée. Doit-on, et comment, réfléchir publiquement à ces choix de l’ombre ?