L'Empreinte du dieu
Van Bergen avait pris la main de Karelina :
Regarde, comme c'est beau, Karelina, disait-il. Regarde...
Il contempla la cité en silence un long moment. Puis, Karelina l'entendit soupirer. Et il dit tout bas, comme pour lui-même :
Durer... Laisser une trace... Voilà ce qu'on désire par-dessus tout, n'est-ce pas, petite ? Moi, c'est de cela, c'est d'Anvers, que j'espère une ombre de survie. Oui... Plus tard, dans bien longtemps, quand je serai mort, des gens viendront encore ici, contempler Anvers, et rêver... J'aimerais, vois-tu, que mon nom, mon souvenir, se rattache à ces choses - et qu'en les revoyant, quelquefois, ils aient une pensée pour moi...
Elle eut l'éternelle révolte de la femme, l'instinctive jalousie de l'aimée, envers la rivale, l'oeuvre :
Je ne te contente pas ? Je ne te suffis pas ?
Il eut un sourire, l'indulgence de sa maturité déclinante, pour cette orgueilleuse et naïve jeunesse :
Si, si, Karelina. Tu as raison, je suis un chimérique...
Et comme, au fond, il sentait bien qu'il y avait aussi quelque sagesse en elle, et qu'elle approchait plus que lui, poète, la dure et froide réalité des choses, il répéta doucement :
Tu as raison... La plus belle des survies, tu me la donnes... Et c'est toute l'immortalité que je demande, pour quand je n'y serai plus. Durer, durer en toi un moment... Laisser en toi mon souvenir, Karelina...
Il avait passé son bras autour des épaules de la jeune femme, si émue qu'elle ne pouvait dire un mot. Et il espérait presque, à cette minute, être sincère, et parvenir à se contenter de ce bonheur accessible, à la mesure du commun des hommes...
L'Empreinte du dieu, Prix Goncourt 1936, un très beau roman de Maxence Van der Meersch, le célèbre auteur de Corps et Âmes.