Notre père Trajan
« Vercel nous dit quelque part l'étonnement que son héros, un Breton, reçoit en entendant une jeune femme de Bucarest lui parler de la Bretagne. Avec des lectures de Joanne et de Boedeker, de Pierre Loti et de Le Braz, elle s'en est fait une idée qui n'a que de lointains rapports avec la réalité.
Vercel, lui, n'a pas comme sa belle amie, imaginé une Roumanie avec des guides et des romans. Le pays qu'il nous présente il l'a vu. Mais c'est une Roumanie assez particulière, bouleversée par la guerre, déséquilibrée par les souffrances de l'invasion, affolée par la victoire. Lui-même voit les gens de là-bas avec des yeux qui ne sont pas, si je puis dire, ses yeux de tous les jours. Il vient de faire quatre ans de guerre, il entre à Bucarest en officier allié et vainqueur - ce qui n'est pas une façon très courante de prendre contact avec un pays. Tout cela fait que cette Roumanie du roman de Vercel est une Roumanie d'un moment, qui n'a peut-être pas avec la Roumanie de tous les jours, plus de ressemblance que n'en avaient, avec la vraie Bretagne, les songes de sa belle Roumaine. On n'y retrouve pas cette puissante vie paysanne, qu'on admire dans le folklore recueilli par Hélène Vacaresco, et dans ce magnifique livre où la princesse Bibesco a retenu ce qu'il y a de plus enchanteur dans l'imagination populaire de son pays, Isvor, le pays des saules.
Vercel n'a voulu que nous décrire, sous une forme romanesque, une minute de la vie confuse et trépidante de nos amis de Bucarest, encore mal revenus du choc opératoire de la guerre. »
J. J. Tharaud (extrait de la Préface).