Cette âme ardente...
La destinée qui les éloigna [Romain Rolland] de [Suarès] ne les sépara jamais complètement. Tandis que la publication de Jean Christophe révélait au grand public le nom et l’œuvre de Romain Rolland, Suarès demeura longtemps pauvre et isolé, se faisant par sa sauvagerie et ses violences moins d’amis que d’ennemis. Ignoré, solitaire, accablé, après la perte de son père et de sa fortune, par la mort accidentelle de son frère bien-aimé Jean, beau et brillant marin, qu’il immortalisa dans un livre douloureux, le pauvre grand homme connut des années de peine, à Meudon où il nous suivit, à Paris où il trouva, avec l’amitié de quelques hommes, l’admiration étonnée de quelques femmes au grand cœur. Son existence alors, sa fuite forcée pendant la dernière guerre, ses désespoirs et ses consolations mériteront d’autres récits. Rolland le précéda de peu dans la mort ; mais Suarès eut le temps de pleurer cette grande amitié disparue, dont il sentit mieux le prix.
En lisant leur correspondance où tant de sujets sont abordés, où tant de pensée et de savoir s’échangent, on jugera de l’étendue, de la sincérité et de la vigueur de ces deux esprits si différents et si fraternels. Le compagnon de leur jeunesse, qui leur survit encore, peut leur rendre ce témoignage : leur conscience à tous deux fut également résolue, leur cœur, pareillement sensible à tous les frissons de ce petit univers.
