Monsieur le comte - Romain Rolland et Léon Tolstoï
« Ce fut à la Pentecôte 1887 que jécrivis à Tolstoy pour la première fois. Et je lui récrivis en septembre, de la vieille maison de Clamecy. Sa réponse me parvint à Paris, le 21 octobre. J'ai dit, en plus d'un livre, mon émotion de gratitude passionnée, à ce geste de bonté du vieux grand homme, qui me donnait ses conseils et m'appelait son frère.
Mais l'influence de Tolstoy sur moi a été mal appréciée. (...) L'art souverain de Guerre et Paix, dont je n'ai trouvé chez aucun Français l'évaluation exacte, ce vol plané sur l'univers, d'un génie au regard d'aigle, ces peuples dâmes, dont les mille ruisseaux s'acheminent vers le fleuve Océan, et qu'entraîne la pente invincible de la Force Éternelle, répondaient aux plus intimes de mes aspirations créatrices et m'offraient le premier modèle inégalable de la nouvelle Épopée. Je ne l'ai jamais imité (nos chemins et nos forces étaient trop différents) ; mais elle m'a été peut-être le propulseur de la geste Jean-Christophe et de celles qui suivirent.
D'autre part, l'exemple généreux de la vie de Tolstoy n'a pas été perdu pour moi ; je n'ai jamais oublié, depuis, les devoirs de l'art envers les hommes, ses responsabilités.
De l'immense génie et de ses racines, étendant sous la terre leur réseau innombrable, noueux et subtils serpents qui vont boire aux lointains des sources de la vie, nul n'a donné le contact plus saisissant que Gorki, dans sa géniale esquisse et digne du modèle, du vieux Odin assis sous l'arbre de Yasnaya. (...) C'est par ces obscures racines, cheminant, frémissantes, sous l'enveloppe de lêtre, et s'incrustant tenaces au coeur de la Substance, que nous avons communiqué, dès longtemps même avant de nous connaître. Mes propres racines étaient enchevêtrées aux siennes dans la chair de la terre, avant que j'eusse encore lu une seule ligne de Tolstoy. »
R. R.
Mais l'influence de Tolstoy sur moi a été mal appréciée. (...) L'art souverain de Guerre et Paix, dont je n'ai trouvé chez aucun Français l'évaluation exacte, ce vol plané sur l'univers, d'un génie au regard d'aigle, ces peuples dâmes, dont les mille ruisseaux s'acheminent vers le fleuve Océan, et qu'entraîne la pente invincible de la Force Éternelle, répondaient aux plus intimes de mes aspirations créatrices et m'offraient le premier modèle inégalable de la nouvelle Épopée. Je ne l'ai jamais imité (nos chemins et nos forces étaient trop différents) ; mais elle m'a été peut-être le propulseur de la geste Jean-Christophe et de celles qui suivirent.
D'autre part, l'exemple généreux de la vie de Tolstoy n'a pas été perdu pour moi ; je n'ai jamais oublié, depuis, les devoirs de l'art envers les hommes, ses responsabilités.
De l'immense génie et de ses racines, étendant sous la terre leur réseau innombrable, noueux et subtils serpents qui vont boire aux lointains des sources de la vie, nul n'a donné le contact plus saisissant que Gorki, dans sa géniale esquisse et digne du modèle, du vieux Odin assis sous l'arbre de Yasnaya. (...) C'est par ces obscures racines, cheminant, frémissantes, sous l'enveloppe de lêtre, et s'incrustant tenaces au coeur de la Substance, que nous avons communiqué, dès longtemps même avant de nous connaître. Mes propres racines étaient enchevêtrées aux siennes dans la chair de la terre, avant que j'eusse encore lu une seule ligne de Tolstoy. »
R. R.