Gandhi et Romain Rolland
« … Il ne faut pas me leurrer. – Et je ne me leurrais pas. Aux heures même où je me grisais complaisamment des mirages de l’esprit, au long cours du Voyage, l’esprit ne cessait pas de percevoir le rappel lancinant des tourments présents.
Ce n’était pas seulement le rêve cosmique que j’étais venu nourrir aux sources de l’Inde somnambule ; j’y avais transporté mes préoccupations d’Europe, le spectre de la guerre qui avait ravagé les champs de l’Occident et qui continuait de rôder autour des ossuaires. Je savais trop que les Erinnyes étaient tapies, au chevet des tombes, d’où montait la fumée rouge du sang répandu. Et j’avais le désir anxieux de leur opposer, comme au terme de la trilogie d’Eschyle, une digue de raison souveraine, qui mît fin au conflit. Elle n’était guère à attendre des impérialismes vainqueurs d’Occident qui entendaient jouir des dépouilles et, gorgés, stupidement n’avaient même point la prudence élémentaire de savoir les garder. Je pensais la trouver dans la révélation qui me fut faite, en 1922, du petit Saint François de l’Inde : Gandhi. Apportait-il, dans les plis de sa bure, le mot libérateur des meurtres à venir, la Non-Violence héroïque qui ne fuit pas, mais résiste, « l’Ahimsa » ? J’avais un tel besoin d’y croire que j’y ai cru passionnément pendant plusieurs années, et j’ai versé, à pleins seaux, cette foi. J’avais la certitude (ah ! je ne m’en dédis pas !) qu’elle seule pouvait être le salut du monde chargé de crimes, de ses crimes passés, de ses crimes futurs…
8 septembre 1940
R. R
Ce n’était pas seulement le rêve cosmique que j’étais venu nourrir aux sources de l’Inde somnambule ; j’y avais transporté mes préoccupations d’Europe, le spectre de la guerre qui avait ravagé les champs de l’Occident et qui continuait de rôder autour des ossuaires. Je savais trop que les Erinnyes étaient tapies, au chevet des tombes, d’où montait la fumée rouge du sang répandu. Et j’avais le désir anxieux de leur opposer, comme au terme de la trilogie d’Eschyle, une digue de raison souveraine, qui mît fin au conflit. Elle n’était guère à attendre des impérialismes vainqueurs d’Occident qui entendaient jouir des dépouilles et, gorgés, stupidement n’avaient même point la prudence élémentaire de savoir les garder. Je pensais la trouver dans la révélation qui me fut faite, en 1922, du petit Saint François de l’Inde : Gandhi. Apportait-il, dans les plis de sa bure, le mot libérateur des meurtres à venir, la Non-Violence héroïque qui ne fuit pas, mais résiste, « l’Ahimsa » ? J’avais un tel besoin d’y croire que j’y ai cru passionnément pendant plusieurs années, et j’ai versé, à pleins seaux, cette foi. J’avais la certitude (ah ! je ne m’en dédis pas !) qu’elle seule pouvait être le salut du monde chargé de crimes, de ses crimes passés, de ses crimes futurs…
8 septembre 1940
R. R